Article: La durée anormalement longue d’un emplacement réservé entraine son illégalité

TA Marseille, 23 mai 2023, n°1906950 

36 ans. C’est le temps qu’aura duré le maintien d’un emplacement réservé de voirie, sans que la Commune n’ait pu justifier d’un quelconque commencement de travaux en rapport avec cette réserve.

Dans ce dossier, un particulier construisait un muret sans autorisation puis, après avoir subi la visite des services de l’urbanisme avec procès-verbal d’infraction à la clé, décidait de régulariser sa construction en déposant une déclaration préalable de travaux.

Mais c’était sans compter la ténacité de la Commune, laquelle s’opposait à la déclaration au motif que le petit bout de parcelle sur lequel était bâti le muret empiétait sur un emplacement réservé de voirie, interdisant la réalisation de tous travaux.

La chose n’aurait en soit rien d’anormal si l’emplacement réservé n’avait pas été adopté par la Commune… en 1987, et que l’élargissement de voirie envisagé n’avait pas, pendant ces presque quatre décennies, fait l’objet d’un début de réalisation.

Sur ce point, la loi est carencée en ce qu’elle ne prévoit aucune durée maximale accompagnant la validité d’un emplacement réservé sans que des travaux aient été commencés.

S’agissant de la jurisprudence, elle s’est déjà prononcée sur ce moyen mais les décisions sont rares (CE, 17 mai 2002, n° 221186 ; CE, 6 octobre 1995, n° 151075) et, bien que reconnaissant que le maintien d’un emplacement réservé pendant une « durée anormalement longue » entraine son illégalité, aucune durée précise ne pouvait être dégagée de la lecture de ces décisions.

C’est dans ce contexte que le requérant, représenté par Me MARQUES, saisira la juridiction administrative d’un recours visant l’annulation de l’opposition à déclaration préalable, en se fondant sur la durée anormalement longue du maintien de l’emplacement réservé sans réalisation de travaux.

Et, malgré les vives contestations de la Commune (laquelle précisait notamment que l’emplacement réservé avait été renouvelé dans des documents d’urbanisme postérieurs), le tribunal administratif tranchera en faveur de l’administré :

« Il n’est pas contesté que cet emplacement réservé est inscrit dans les documents d’urbanisme de la Commune depuis 1987. S’il a été modifié dans le document d’urbanisme de 2007, il ressort des pièces du dossier que cette modification a eu pour seul objet la réduction de l’emprise de cet emplacement, sans que la commune ne fasse état de l’intention de débuter les travaux tenant à la réalisation de son projet. 

Dans ces conditions, en l’absence de constat d’une quelconque réalisation depuis 36 ans, le maintien du terrain du requérant dans l’emplacement réservé est entaché d’erreur manifeste d’appréciation ».

L’opposition à la déclaration préalable de travaux sera donc annulée, et la régularisation du muret pourra intervenir.

Surtout, cette décision nous donne une illustration, rare, de ce que l’on peut entendre par une « durée anormalement longue » : on sait ainsi que 36 années suffisent à rendre le maintien d’un emplacement réservé illégal.